Frustration

Le trampo m’attend au bout du tapis. Départ. Course d’élan. Saut. Apesanteur bien familière. Rester dans le temps. Demi-vrille, puis groupé, double arrière, allez, ouverture. Droit comme un I. Réception sans un pas. Salut. Parfait. Je tourne la tête. Elle applaudit, avec la salle, belle comme un cœur. Mon cœur bat la chamade.

Les marches, la scène, les lumières qui me rentrent dans les yeux. Dans ma main, le micro qui chauffe, l’ambiance moite du public serré et impatient. Premiers mots. Pas de musique. Juste les paroles, une à une, qui sortent de ma bouche, qui se glissent vers leurs oreilles. Poésie improvisée, les rimes trouvent le tempo. Lentement, puis de plus en plus puissants, qui grondent et sortent en torrents furieux, en fleuve qui gonfle et grandit de plus en plus. Encore et encore. Puis, le silence, une seconde. Cris, bravos, bis, sifflements. Elle rit de bonheur en frappant dans ses mains. Ses yeux brillent en me regardant. Je reprend mon souffle et souris.

Tabouret, cadre, pinceaux. Tableau, quarante centimètres sur soixante. Portrait typographique. Chaque mèche de cheveux est une phrase, un déroulé de mots tressés pour elle, une semaine de travail. Une semaine de dévotion. Déchirure du papier kraft, elle retient son souffle, moi aussi. Elle reste sans voix et m’embrasse, en me serrant contre ses seins.

En fait, j’aime pas le bonheur.

Demain, je mettrai des chaussettes sales.


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